Pourrons nous nous baigner cet été dans le bassin ?

Le bassin au large de l’ile aux oiseaux le 14 février 2024

En décembre 2023, les huîtres du Bassin d’Arcachon sont interdites de consommation. Une épidémie de gastro-entérites sévirait. Depuis novembre, des citoyens dénoncent le déversement accidentel et incessant des eaux usées dans le milieu naturel et le bassin. Des citoyens évoquent des solutions comme un moratoire sur les nouvelles constructions tout en déplorant le silence des autorités. (voir article de Sud Ouest du 31 mars 2024, voir également le reportage de Stéphae Histcock sur France Inter samedi 30 mars à 8 h.

Images du bassin de rétention de Titoune début mars 2024

Depuis novembre, différents épisodes pluvieux entrainent indirectement une pollution des eaux du bassin d’Arcachon.  Interdites de consommation fin décembre,  les huîtres doivent en mars 2024 rester une quinzaine de jours en eau purifié. Les habitants se demandent s’ils pourront se baigner cet été… Comment en est-on arriver là ?  Le bassin d’Arcachon se présente comme une zone humide, les nappes phréatiques affleurent : par temps de fortes pluies, les sols sont saturés, les polluants lessivés et emportés, les égouts débordent dans le milieu naturel,   entraînant une pollution par le Norovirus, (un virus responsable de la gastro-entérite) ou par la bactérie E. coli , de nombreuses intoxications et  fin décembre 2023 une interdiction de commercialisation des coquillages et des huîtres. Ce schéma -inondation, saturation des égouts, débordement dans le milieu naturel- s’est répété trois fois cet hiver;  

Ceci a pour effets de diminuer la qualité des eaux du bassin.  Thierry Lafon, ostréiculteur, paysan de la mer  et ex-président du syndicat régional de la conchyliculture précise : le bassin est alimenté par l’océan (trois semaines sont nécessaires pour renouveler complètement l’eau ) et un bassin versant de 4000 km2, occupé par des communes de plus en plus peuplées, caractérisées par un surtourisme saisonnier, très polluantes (herbicides, fongicides, algicides utilisées pour le nettoyage des toitures, produits d’entretien). Il s’y ajoute la pollution provenant de l’agriculture et celle causée par les très nombreux bateaux de plaisance (peintures anti-salissure et HAP*) . Conséquences : la flore disparaît, les zostères** régressent, les huîtres maigrissent par manque de phytoplancton. D’autre part, l’assainissement des eaux usées repose sur les stations d’épuration pour les eaux domestiques et sur « l’infiltration à la parcelle » pour les eaux pluviales. Or, le réseau de fossés et de « crastes ***» est très mal entretenu : les échanges avec la nappe phréatique qui affleure sont moindres et l’eau déborde au lieu de s’infiltrer. Elle pénètre par les regards servant à aérer dans les égouts qui débordent dans le milieu naturel ou sur la voierie et tout rejoint les eaux  du Bassin

Sur terre, le fonctionnement des fossés et crastes ( Crastes : nom local donné aux réseaux de fossés) par Isidore Plantey, puisatier et président de l’association «Les amis des puits ».

Dans mon pays au bassin d’Arcachon (zone humide par excellence) les fossés étaient et sont toujours primordiaux, sans fossés point de vie , à moins de reprendre nos échasses et de garder nos moutons comme autrefois dans notre pays des Landes. Le but des fossés est de faire écouler par capillarité un maximum d’eau de pluie, récupérer les eaux de ruissellement.  Il y a une énorme différence entre drain (un tuyau en pvc qui transporte l’eau mais ne l’absorbe pas) et un fossé qui absorbe et récupère presque la totalité du passage des eaux de ruissellement. Le fossé généralement couplé à une haie fait partie d’un réseau. Ses eaux se déversent dans les ruisseaux. Tout propriétaire riverain d’un fossé est tenu d’assurer son entretien régulier afin de le maintenir en bon état de fonctionnement et de lui permettre d’assurer sa fonction de libre écoulement des eaux provenant de l’amont de sa propriété. (code civil, articles 640 et 641)

La ressource en eau potable diminuepar Patrick Dufau de Lamothe fondateur de l’association Arc-Eau. Dérèglement climatique, surpopulation et surconsommation sont en cause.

Le dérèglement climatique en cours se traduira par une baisse des nappes phréatiques dans lesquelles nous puisons l’eau destinée à l’alimentation humaine. Même si on ne sait pas encore en prévoir, en chiffres, les conséquences, les volumes, la disponibilité tout au long de l’année seront atteints. Ceci est particulièrement vrai pour le Bassin Adour-Garonne. Le département de la Gironde est classé en zone de répartition des eaux (ZRE). Les ZRE sont des « zones présentant une insuffisance, autre qu’exceptionnelle, des ressources par rapport aux besoins ». Ainsi un SAGE (Schéma d’aménagement et de gestion des eaux) est en vigueur depuis le 18 juin 2013. Il tend à limiter les prélèvements selon le type de nappes. Depuis le 1er janvier 2020, ce sont les intercommunalités qui sont compétentes pour le prélèvement, le traitement et la distribution de l’eau potable, les volumes annuels, quotidiens et horaires  forés ou prélévés dans le lac de Cazaux faisant l’objet d’arrêtés préfectoraux

 Sous la pression foncière, largement facilitée par les politiques d’urbanisme, les plafonds d’autorisation sont de plus en plus fréquemment dépassés. Ainsi, en 2022, 7 forages sur les 20 que comptent la COBAN étaient surexploités.

Fin 2022, de nouveaux arrêtés ont été publiés. À l’exception du forage de Lubec qui alimente la commune d’Audenge, les autorisations  sont restées strictement les mêmes que dans les arrêtés précédents qui remontent à 10-15 ans alors que la population et les activités économiques ont cru.

Il existe des disparités entre communes mais globalement le Bassin d’Arcachon consomme trop d’eau : la norme nationale par famille (2 adultes et 2 enfants) prévoit une consommation de 120 m3 par an, mais elle est actuellement de l’ordre de 160 m3 sur le Bassin.

Le nouveau SCOT (Schéma de Cohérence Territoriale) du Bassin d’Arcachon prévoit une augmentation de 40 000 habitants de plus d’ici 2040 mais l’Etat prévient que les autorisations de prélèvement ne seront pas augmentées. Il manquerait ainsi, pour le Nord Bassin, 200 000 m3 d’eau et 1500 abonnés ne pourraient pas être alimentés. Parallèlement, en sachant que l’impact du dérèglement climatique sur la ressource locale en eau n’est pas connu avec précision, le Bassin doit réduire sa consommation en eau. Sont évoqués une tarification différentielle été/hiver pour tenir compte des résidences secondaires, les sources de gaspillage : le lavage des bateaux dans les ports de plaisance, l’arrosage des golfs, des jardins privés et publics, certains usages domestiques (douches, WC). Des fragments de solution : captation et usages domestiques des eaux pluviales, recyclage de eaux grises et renaturation des centres villes.

Le traitement des eaux usées par René Capo, co-fondateur du Comité de Vigilance de Biscarosse revient, avec 50 ans de recul sur les désillusions par le rejet dans l’océan des eaux traitées du Bassin. En 1960, les eaux usées des villes du littoral aboutissaient dans le bassin. L’installation du tout à l’égout fut saluée comme un progrès. Un collecteur, opérationnel depuis 1974, fait le tour du bassin, comporte plusieurs stations d’épuration et rejette des effluents des stations en mer par l’intermédiaire d’un tuyau le Warf de la Salie. Or, ces eaux comportent encore des résidus médicamenteux et des produits détergents, sont rejetées trop près du rivage (du fait de l’ensablement). Les courants marins les entraînent jusqu’à l’entrée du Bassin. Est-il acceptable de rejeter les effluents des stations d’épuration en mer ?

Des solutions ?

Au sujet de la gestion de la crise : le silence des élus et des acteurs de terrain est source de nombreuses interrogations ; ont-ils peur de faire fuir le touriste   ?

Pour être efficaces sur le long terme : volonté politique et efforts individuels sont convoqués pour évoquer les solutions : réduction de la consommation en eau potable, utilisation de produits certifiés « Ecocert » ou « maternité saine » par les individus et les communes, tourisme éco-responsable, moratoire sur l’augmentation de la population et l’urbanisation. « Nous voulons des ostréiculteurs, pas des promoteurs » déclare un andernosien.

Glossaire : * HAP hydrocarbures polycycliques aromatiques composants naturels du charbon et du pétrole

** Zostère : plante marine poussant sous l’eau ou sur l’estran et abritant des larves, jeunes coquillages et jeunes poissons.  Ses feuilles déposées sur les plages donnent  le varech.

***Crastes : nom local donné aux réseaux de fossés

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